l’Apaisée
Rte des Jeunes 19
1227 Carouge
Les coups de coeur de la Brasserie l’Apaisée
L’insolente
Type : New England IPA
Arômes : fruités, houblonnés, ronds
L’IPA, c’est le type de bière qui a fait connaître Xavier et sa brasserie au monde entier. (C’est pas faux ! il gagne régulièrement des prix avec ses binches dans des concours internationaux). Prononcez « Aie Pie Eh pour faire comme les vrais ». Vous êtes fan de IPA ? Alors cette double IPA est pour vous.
Celle-ci, c’est la petite cousine de la IPA, qui se caractérise par son aspect trouble et laiteux (dû aux autres variétés de céréales ajoutées pendant l’empâtage)… Et ça donne une bière au houblon frais et fruité nous emmenant sous des contrées ensoleillées.
La Black Tit
Type : IPA noire
Arômes : Fruités, café subtils, peu astringente
Et si vous n’aviez pas encore compris que l’Apaisée fait des IPA comme personne, on vous propose la bière noire de Noël…en version IPA bien sûr. La Black Tit est une bière noire de type Black IPA.
Avec sa généreuse dose de houblon à cru, elle devient une bière fruitée et peu astringente.
La Coetus XI
Type : Fermentation spontanée barriquée
Arômes : Fruités, boisés, acidulés
Ce vieux nom latin représenterait maintenant « une assemblée, un groupe, une compagnie ». C’est donc à plusieurs que l’on s’appliquera à déguster cette bière travaillée.
Assemblage de plusieurs brassins, vieilli en barrique et fermenté avec des levures sauvages donnant une robe ambrée in fine.
Le QUIZZ avec Xavier
Visite à la Brasserie le 18 novembre 2020: Interview de Xavier Righetti
Est-ce que tu peux te présenter ?
Xavier Righetti, né en 1981. J’ai monté la brasserie il y a cinq ans, en 2015, tout d’abord dans ma cuisine, ensuite au Vélodrome, et depuis un an et demi ici à Carouge. Dans la brasserie il y a ma femme et moi, on n’est pas salariés mais on bosse pas mal pour ça, et on a actuellement trois employés et un stagiaire.
Pourquoi avoir choisi le métier de brasseur ?
À la base j’ai fait des études en informatique, j’ai monté une boîte en informatique et j’ai un peu pété un plomb avec l’informatique parce que c’est quelque chose qui me plaisait depuis tout gamin et au bout d’un moment j’en ai eu ras-le-bol. Ras-le-bol d’être le cul sur une chaise, de rentrer à la maison fatigué, pas d’une fatigue physique, mais d’une fatigue un peu intellectuelle où t’as rien fait en fait. Et puis frustration. Du coup il fallait trouver une autre voie, un autre domaine beaucoup plus sur le côté créatif, le côté artisanal, manuel, fabrication. Il a toujours ce stress d’outsourcer le développeur informatique, c’est un domaine où tu peux coder n’importe où, tandis que la bière artisanale locale c’est quelque chose que tu ne peux pas outsourcer. Et donc voilà, je voulais me mettre dans la production artisanale de quelque chose.
J’ai découvert les binches artisanales en 2015 au Canada, au Québec, et j’ai pris une grosse grosse claque : j’ai compris ce qu’étaient les bières et je me suis dit « waouh, ça fait vingt ans que je bois de la pisse ! » et je ne m’en rendais pas compte. Ça a été un point de non-retour, et quand je suis revenu à Genève c’était plus possible de boire de la Feldschlösschen, de la Cardinal ou de la Heineken, du coup j’ai commencé à acheter les bières que je trouvais, mais c’était pas aussi bon que ce que j’avais bu tout frais aux États-Unis, là où j’ai découvert les IPAs, ces bières houblonnées ; c’était souvent très cher et pas bon. Je me suis donc dit qu’il allait falloir que je brasse moi-même, juste pour moi au début, pour avoir quelque chose de cool à boire et pas nécessairement pour en faire un business. Plus tard, j’en avais ras-le-bol de ma boîte d’informatique, et j’ai changé les buts et les statuts de ma boîte, qui étaient « développement de logiciels et fabrication de circuits électroniques », et j’ai ajouté « et de bière », comme ça je pouvais fabriquer de la bière en plus, dans ma boîte. C’est comme ça que ça a commencé.
Ce qui m’a vraiment plu dans le domaine de la binche, c’est que tous les gens que j’ai croisés dans ce milieu-là étaient super cool, à l’inverse de l’informatique où c’est un domaine qui peut s’appliquer à tous les domaines (banque, assurance, médecine, droit, n’importe quoi). Du coup j’ai côtoyé beaucoup de domaines différents, j’ai fait des logiciels pour des médecins, ou autres. Le fait de rencontrer des gens qui étaient vraiment dans la bière m’a ouvert les portes sur un monde différent : c’était que des gens qui faisaient ça par passion et pas pour la thune, c’était que des gens qui étaient tous très soudés entre eux, parce qu’ils se battaient tous contre les géants industriels de la binche, et du coup personne ne se tirait dans les pattes et c’était vraiment une ambiance incroyable, avec énormément d’échanges, de partage, et à chaque fois qu’on se voit évidemment il y a une bière sur la table et c’est très chouette. C’est le seul domaine que j’ai pu côtoyer où il y a ce côté vraiment humain. C’est ce qui m’a le plus plu dans la bière, et c’est pour ça que je me suis lancé là-dedans.
Qu’est-ce qui caractérise ta brasserie ?
Au début j’ai vraiment eu un coup de cœur pour les IPA, au Québec, du coup quand je suis revenu je me suis dit que je n’allais faire que des IPA, parce que mon but n’est pas de faire des bières qui marchent – même si c’est mieux si ça marche ! –, mais surtout de faire des bières que moi j’aime boire. C’est pour cette raison que ce qui caractérisait ma brasserie au début c’était les bières houblonnées. C’est d’ailleurs pour ça que je l’ai baptisée « L’Apaisée », parce que le houblon est un cousin du cannabis et a des propriétés apaisantes. Et en plus « bière l’apaisée » c’est une petite contrepétrie… Puis, petit à petit, en visitant des brasseries en Belgique, j’ai découvert les gueuzes et les lambics, des bières de fermentation spontanée qui sont vieillies des années en barrique et qui sont acides. Les premières fois c’était un peu un choc, c’était un peu trop acide pour moi – c’est un peu comme les premières bières qu’on boit, on trouve trop amer au début – mais c’est un goût qui s’acquiert. Au final j’ai vraiment beaucoup aimé, pas seulement les bières en tant que telles – qui sont très sèches, donc sans sucre résiduel, et avec une acidité, un côté « funky » donné par la levure, un côté « bois » donné par le temps passé en barrique – mais il y a aussi l’avantage de pouvoir se libérer un petit peu des producteurs de houblon. J’essaie de faire une bière locale, avec des produits locaux, mais toutes mes IPAs sont produites avec du houblon non bio provenant des États-Unis… C’est vraiment pas terrible, mais c’est nécessaire pour faire ces bières IPA. Le fait de partir sur des bières acides permet de faire des bières de terroir, d’utiliser du houblon local qui est beaucoup moins aromatique, ce qui ne gêne pas parce que nous l’utilisons surtout pour ses propriétés antiseptiques dans la fabrication de bières acides, tandis que nous recherchons les houblons américains pour leurs arômes très puissants et caractéristiques des IPA ; sans oublier que pour les fermentations spontanées nous pouvons utiliser des levures indigènes, de la région. C’est ce qui en fait de vraies bières de terroir.
Pour revenir à ta question, la particularité de ma brasserie c’est que je fais des bières que j’aime, et mes goûts changent, ce qui fait que les bières que je produis changent aussi. J’ai commencé par ne faire que des IPA, et maintenant je fais moitié-moitié, en sachant que les IPA rapportent évidemment plus que les bières à fermentation spontanée, parce que les gens connaissent encore mal ce type de bières et n’y sont pas encore habitués. Ma production se répartit donc entre les bières houblonnées et les bières vieillies en barriques, et ce qui relie ces deux styles de bières dans ma brasserie c’est que dans les deux cas elles sont très sèches : les IPA, aussi bien que les bières à fermentation mixte, sont très peu sucrées, très peu écœurantes, très sèches. Seule exception : les Imperial Stout, où, vu qu’on monte très haut dans l’alcool, on peut aussi se permettre de monter haut dans les sucres pour obtenir quelque chose d’équilibré.
Je suis donc passé de bières sèches et houblonnées, à des bières plus sur les levures. Au début je m’en foutais des levures, j’utilisais une levure qui fait son travail et qui disparaît – la levure US 05 est la levure parfaite pour ça – afin de permettre au houblon de l’exprimer. Maintenant, à l’inverse, avec les bières de fermentation mixte, je m’en fous du houblon et je travaille vraiment sur les levures : le goût, l’arôme de la bière vient des levures au lien de venir du houblon.
À ton avis, qu’est-ce qui a créé ce boom des brasseries artisanales ?
À Genève on est hyper en retard, ne serait-ce que par rapport au canton de Vaud, même si on commence à rattraper un peu, ou au reste de la Suisse, sans parler du reste du monde. C’est une grosse tendance de fond, qui s’inscrit dans le mouvement slow food, dans le manger mieux, consommer mieux, savoir ce qu’il y a dans son assiette, connaître le producteur, payer un peu plus pour de la bonne qualité… Ce n’est donc pas juste une mode autour des brasseries artisanales, ça s’inscrit dans une tendance plus large.
Qui a commencé ce boom des brasseries artisanales en Suisse ?
Il y a eu la brasserie des Franches-Montagnes, qui a une vingtaine d’années, qui a commencé très tôt à faire des bières acides, et dont la Saint Bon-Chien a été élue meilleure bière acide vieillie en barrique au monde par le New York Times en 2009 ! La brasserie traversait une passe difficile à cette époque, et grâce à cet article elle a pu se pérenniser et c’est maintenant la brasserie numéro 1 en Suisse.
Il y a aussi la brasserie des Trois Dames, qui va bientôt fermer ses portes, après dix-sept ans d’existence. C’est vraiment triste parce que c’est une brasserie iconique de la Suisse – c’est l’une des meilleures brasseries suisses. Eux aussi font depuis très longtemps des bières élevées en barrique. Pour moi ce sont les deux modèles de vieilles brasseries.
À Genève, les plus vieilles brasseries comme les Murailles et la brasserie du Père Jakob, font des bières typées allemandes, belges, typées vieilles bières européennes. Ensuite, il y a eu la nouvelle tendance des bières artisanales (Virage, moi et tous les autres) : nous on a plutôt repris le flambeau des États-Unis, qui partaient sur des bières plutôt houblonnées. Il y a donc une différence entre les vieilles brasseries, avant la révolution craft, qui faisaient plutôt des bières de style allemand ou belge, et puis cette nouvelle vague qui est arrivée à Genève il y a cinq ans (dans le canton de Vaud il y a peut-être sept ou huit ans, et qui date d’il y a déjà vingt ans aux États-Unis), et qui part sur des bières plutôt houblonnées.
Ce qui est drôle c’est qu’en fait nous on se réfère aux bières américaines parce que ce sont en quelque sorte les meilleures du moment, qui sortent toutes les nouvelles tendances de bières (les New England IPA, les nouvelles sour, etc.), mais en fait eux ils s’inspirent des anciennes bières européennes : les IPA ce sont des bières anglaises qu’ils ont remis au goût du jour, de même que leurs sour sont d’anciennes gueuzes lambic remises au goût du jour, etc. Ça fait juste un aller-retour entre l’Europe et l’Amérique du nord, ça revient en Europe un peu modifié.
Il y a un pays de la bière, selon toi ?
Pour moi c’est la Belgique. Pas forcément au niveau de la quantité bue par habitant – je pense que dans ce cas ce serait plutôt la République Tchèque ou l’Allemagne – mais plutôt pour l’immense variété de styles de binches, et il n’y a aucun autre pays qui fait des gueuzes ou des lambics depuis un siècle. Il y a l’Allemagne, bien sûr, mais leur loi de “pureté de la bière”, la Reinheitsgebot, qui limite le nombre d’ingrédients à quatre (eau, malt, houblon, levure), leur a mis tellement de contraintes et de limitations, qu’ils ont du coup été bridés au niveau des styles de bières, et n’ont jamais fait de bières aux fruits, au sucre candy, ou autres ingrédients. Par contre ça leur a permis de perfectionner leur art dans un style de bière très précis, des lager, des Hefeweizen, des Münchner et Berliner weisse, et autres. Mais je dirais plutôt la Belgique pour leur variété de bières.
Est-ce qu’il y a une brasserie qui t’inspire particulièrement ?
Oui : Auval. C’est une toute petite brasserie, ils sont deux ou trois (deux fondateurs et peut-être un ou deux employés, je ne sais pas, j’ai pas trop suivi ces derniers temps), ils ont un petit volume, ils ont très peu de distribution, ils font tout eux-même. Ils font à la fois des IPA méga houblonnées, des bières fermentation mixte vieillies en barrique, et des stouts… Un peu comme moi. Il y a peu de brasseries, en fait, qui font plein de styles en même temps, et mélangent les “infectées”, à fermentation mixte, et les “clean”. Auval en fait partie, et c’est pour moi le modèle à atteindre : les gars sont cool, les bières sont incroyablement bonnes, hyper rares et réputées, recherchées, même à Montréal. Auval a percé en Gaspésie, donc tout à l’est du Québec, à dix heures de Montréal. Et il faut se taper les dix heures de route : je l’ai fait deux fois, une fois en plein hiver et une fois en été, et je conseille à tout le monde d’aller faire ce pèlerinage chez Auval ! Ils se trouvent au Val d’Espoir, d’où le nom. Les étiquettes sont bien… à chaque fois que je discute avec eux, je suis frappé par tous les détails, le fait que le fond de la bouteille soit bombé, l’épaisseur… tout est calculé, pas du tout par rapport à l’argent qu’ils mettent dedans, pour faire un retour sur investissement, mais seulement pour la qualité de la bière : s’il faut payer plus cher pour l’étiquette, pour la capsule, pour le verre, pour les matières premières, ils le font, ils s’en foutent. Leur but c’est pas de se faire des ronds, c’est de faire la meilleure bière, et ils y arrivent.